Le 11 février, la Commission européenne a publié son programme de travail annuel, précisant ses priorités politiques et législatives pour l’année à venir. Ce document reflète les engagements de la nouvelle Commission – établie en décembre 2024 – tels que définis dans les Orientations politiques et les lettres de mission adressées par la Présidente Ursula von der Leyen aux Commissaires. Notre analyse de ce programme de travail met en lumière les priorités clés liées à la justice sociale, l’équité, l’égalité, les droits des personnes handicapées, l’emploi, la démographie et les soins, tout en identifiant des lacunes notables dans l’agenda proposé.
Comprendre le programme de travail de la Commission
Chaque année, la Commission européenne adopte son programme de travail annuel, présentant les initiatives législatives clés, les propositions en attente de l’année précédente et les retraits prévus. Une fois adopté, le programme est présenté en séance plénière du Parlement européen et au Conseil des affaires générales. Il sert de base aux discussions entre la Commission, le Parlement et le Conseil, aboutissant à une Déclaration conjointe des priorités législatives pour 2025 et aux Conclusions conjointes pour le mandat en cours.
Priorités clés du programme de travail 2025
Renforcer la compétitivité européenne et le marché unique
Un pilier central du programme de travail 2025 est le renforcement de la compétitivité européenne, notamment dans le contexte des transitions verte et numérique. La Boussole de la compétitivité guidera les efforts de la Commission pour moderniser le marché unique, en exploitant pleinement son potentiel et en facilitant le commerce transfrontalier des biens et services. De plus, la révision des règles de la commande publique de l’UE présente une opportunité d’intégrer des critères plus responsables sur le plan social dans l’ensemble des États membres.
Justice sociale, emploi et développement des compétences
La Commission souligne son engagement en faveur de la justice sociale à travers diverses initiatives non législatives. D’ici la fin de l’année, elle publiera un nouveau Plan d’action pour le Socle européen des droits sociaux, réaffirmant son engagement envers la réduction de la pauvreté, bien que la stratégie dédiée de lutte contre la pauvreté n’y soit pas explicitement mentionnée.
Une initiative majeure, l’Union des compétences, vise à répondre aux pénuries de main-d’œuvre et de compétences en garantissant aux entreprises l’accès à une main-d’œuvre qualifiée tout en équipant les individus des compétences nécessaires pour un marché du travail en rapide mutation. Cela passera par une éducation de qualité, inclusive, ainsi que par la formation et l’apprentissage tout au long de la vie.
Par ailleurs, la Commission entend promouvoir l’emploi de qualité à travers l’amélioration des conditions de travail, le renforcement des normes de santé et de sécurité, et la consolidation des droits à la négociation collective. Ces objectifs seront regroupés dans la Feuille de route pour des emplois de qualité, bien qu’aucune mesure législative contraignante ne soit proposée.
Malgré la reconnaissance des problèmes tels que la hausse du coût de la vie et les inégalités en matière de logement, le programme de travail n’évoque pas le Plan européen pour un logement abordable, une priorité clé du mandat de la nouvelle Commission.
Défense de la démocratie, promotion de l’égalité et dialogue social
L’initiative Bouclier de la démocratie vise à protéger les institutions démocratiques, en mettant l’accent sur la protection des organisations de la société civile. L’égalité entre les sexes reste une priorité, avec la préparation d’une Feuille de route pour les droits des femmes, qui s’appuie sur les avancées réalisées en matière de transparence salariale, d’équilibre entre les sexes dans les conseils d’administration, d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et de protection contre les violences basées sur le genre.
Un Pacte pour le dialogue social visera à renforcer le rôle des partenaires sociaux dans les transitions écologique, numérique et sociale de l’Europe. Cependant, bien que la Commission s’engage à intégrer l’égalité dans toutes ses politiques, elle omet une mise à jour de la Stratégie de l’UE en faveur des personnes handicapées, traduisant une approche inégale en matière d’inclusion sociale.
L’une des décisions les plus controversées est le retrait prévu de la Directive horizontale sur l’égalité de traitement, proposée en 2008. Cette directive visait à étendre la protection contre les discriminations fondées sur la religion, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle au-delà de l’emploi. Son retrait, justifié par l’absence de consensus entre les États membres, représente un net recul pour les politiques d’égalité de l’UE.
Analyse critique du programme de travail 2025
À première vue, le programme de travail 2025 semble équilibrer l’innovation économique et l’équité sociale. Cependant, une analyse plus approfondie révèle une orientation principalement économique, sans engagements solides et contraignants en matière de politique sociale. Bien que la Commission évoque fréquemment la « compétitivité » et la « résilience des entreprises », le programme comprend peu de mesures législatives pour renforcer les droits des travailleurs et les protections sociales.
Contrairement aux mandats précédents, l’agenda de cette année n’introduit aucune nouvelle législation sociale. La Commission met plutôt l’accent sur la simplification réglementaire, avec sept propositions visant à rationaliser les processus plutôt qu’à renforcer les droits des travailleurs. Bien que des initiatives comme la Feuille de route pour des emplois de qualité et l’Union des compétences visent à améliorer les conditions d’emploi, elles restent non législatives, privant ainsi les travailleurs de garanties juridiques essentielles.
De plus, le programme privilégie les besoins des entreprises et des acteurs économiques, tout en accordant peu de place aux travailleurs et aux partenaires sociaux. Cette focalisation disproportionnée sur les acteurs économiques soulève des inquiétudes quant à l’avenir du modèle social européen, historiquement fondé sur une forte négociation collective et des normes sociales élevées comme avantages compétitifs.
Le retrait de la directive horizontale sur l’égalité de traitement est particulièrement préoccupant. Bien que bloquée depuis 2008, son retrait formel marque un recul dans l’engagement de l’UE en matière de lutte contre les discriminations. Bien que le programme inclue une Feuille de route pour les droits des femmes ainsi que des stratégies renouvelées pour les droits des personnes LGBTIQ et la lutte contre le racisme, ces mesures restent non contraignantes, soulignant ainsi l’absence de protections juridiques effectives en matière d’égalité.
Migration : une approche avant tout économique
L’approche de la Commission en matière de migration est largement définie en termes économiques et sécuritaires, plutôt qu’à travers une perspective de droits humains. Si le programme prévoit de revoir les règles pour prévenir l’exploitation des travailleurs migrants, la politique migratoire est principalement envisagée sous l’angle de son utilité économique — mettant l’accent sur des voies légales pour répondre aux pénuries de main-d’œuvre tout en renforçant simultanément les mesures d’expulsion. L’absence d’une stratégie d’intégration plus globale risque de marginaliser les droits et les contributions des communautés migrantes en Europe.
Omission du secteur des soins et d’aide à la personne
L’une des lacunes les plus flagrantes est l’absence d’initiatives politiques pour le secteur des soins. Malgré son rôle crucial dans la gestion des défis démographiques, des pénuries de main-d’œuvre et de l’égalité des genres, le programme de travail ne propose aucune mesure pour soutenir des services de soins abordables et de qualité, dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie européenne en matière de soins. Cette omission néglige les besoins des familles, des aidants et des travailleurs d’un secteur pourtant essentiel à la stabilité économique et à la cohésion sociale.
Les familles et les employeurs atypiques, qui ont longtemps été exclus des cadres politiques actuels, risquent de faire face à des difficultés accrues si cette négligence persiste. Cette lacune est d’autant plus significative que le secteur des soins est considéré comme un pont entre le changement démographique et une plus grande équité sociale et compétitivité.
Un virage vers la déréglementation en matière de politique sociale
Bien que le programme de travail inclue un Plan d’action pour le Socle européen des droits sociaux, il ne contient aucun engagement juridiquement contraignant. L’accent mis par la Commission sur la simplification réglementaire et la réduction des coûts au sein de l’acquis communautaire pourrait affaiblir des protections sociales établies de longue date. En privilégiant la modernisation économique et la réduction des charges administratives, la Commission semble s’éloigner d’un agenda social fort qui a historiquement marqué l’intégration européenne.
Conclusion : un agenda centré sur les entreprises, avec des engagements sociaux faibles
Le programme de travail 2025 présente une vision ambitieuse d’une Europe compétitive et résiliente. Toutefois, son orientation quasi exclusive vers la croissance économique, la simplification réglementaire et les incitations aux entreprises se fait au détriment des droits des travailleurs, du dialogue social et des mesures de lutte contre les discriminations. Bien que certaines initiatives sociales soient incluses, elles restent largement non législatives, ce qui soulève des inquiétudes quant à l’avenir du modèle social européen. Ce déséquilibre risque de compromettre l’engagement historique de l’Europe en faveur des protections sociales et de l’inclusivité. Si la Commission veut garantir que le progrès économique bénéficie à tous les citoyens, elle doit intégrer des politiques sociales plus fortes aux côtés de ses ambitions économiques. Sans actions législatives concrètes, le principe fondamental de l’UE consistant à « ne laisser personne de côté » risque de rester une promesse non tenue.